Suède: «Nous n'acceptons pas les espèces»

La Suède est le premier pays européen à avoir introduit les billets de banque – et à vouloir les supprimer. La Scandinavie est depuis longtemps entrée dans l'ère du futur.

Ceux qui voyagent en Scandinavie font inéluctablement deux observations: premièrement, les autochtones n'arborent pas tous une chevelure blonde (seulement 25% des adultes le sont naturellement). Deuxièmement, l'argent liquide a disparu. Peu importe l'endroit – la petite pancarte «Vi hanterar ej kontanter» («Nous n'acceptons pas les espèces») fait partie du paysage: vin chaud au marché de Noël ou bière dans les bars, même les petits montants sont réglés de manière électronique. Les sans-abris qui vendent les magazines «Faktum» et «Situation Stockholm» sont également équipés de lecteurs de cartes mobiles.

«Vouloir payer en espèces, c'est louche»

En 1661, la Banque centrale suédoise a émis les premiers billets de banque en Europe. Elle est également la première à vouloir les supprimer aujourd'hui. Cela peut paraître aventureux, mais ici, on n'en fait pas toute une histoire: 80% des achats sont effectués de manière électronique. L'utilisation de la carte de crédit domine dans le commerce de détail, où seulement 5% du chiffre d'affaires repose sur les espèces. Le Scandinave moyen ne les utilise plus que pour des achats illicites tels que les drogues. En Scandinavie, vous pouvez donc vous fier à la règle suivante: «Vouloir payer en espèces, c'est louche.»

Les citoyens jouent le jeu

On ne sait pas précisément quand l'argent liquide a perdu de son panache. Ce que l'on sait, c'est que les six grandes banques nordiques, jusqu'aux banques commerciales, se sont successivement détournées de l'argent liquide depuis 2010 et que les citoyens jouent le jeu, comme s'il s'agissait là d'une évidence. Entre 2010 et 2012, 500 filiales ont banni les espèces et 900 distributeurs automatiques de billets ont été supprimés, la région présentant ainsi la deuxième plus mauvaise couverture d'Europe. Les caisses des supermarchés sont l'un des derniers endroits où l'on peut encore se procurer des espèces: 500 couronnes suédoises (55 CHF) par achat.

Des temps plus difficiles pour les braqueurs

«En 2030, il n'y aura plus d'espèces», déclare Niklas Arvidsson, professeur assistant à l'Institut royal de technologie et auteur de l'étude de référence «The Cashless Society» («La société sans espèces»). Il ébauche les principales perspectives offertes par la suppression des espèces: les banques pourraient économiser les coûts de traitement et éradiquer les braquages, le vol et l'argent sale. La sécurité est l'argument de vente externe. En interne, outre les possibilités de rémunération sur les frais de transaction, il s'agit d'un changement de stratégie fondamental: il y a quelques années, l'accent était placé sur les clients institutionnels et les grands comptes privés; aujourd'hui, on cible les clients individuels. Un trafic des paiements totalement électronique informe la banque sur l'identité du client, le lieu, le montant et la nature de ses achats. Les données recueillies sont, en dehors des fins publicitaires, analysées dans le but d'être plus proche du client et de lui proposer des solutions en prévention de l'apparition de problèmes.

Les cybercriminels se réjouissent déjà

Björn Eriksson, ancien commissaire de police et ancien président d'Interpol, est l'une des rares personnes à émettre des réserves. Dans son pamphlet «Cartes sur table», il qualifie la suppression des espèces de tentative d'enrichissement des banques et juxtapose la baisse du nombre de braquages à la hausse galopante de la cybercriminalité. Selon lui, le public est très peu informé du nombre croissant d'attaques informatiques contre les serveurs des banques et du fait que les braquages virtuels visent des bases de données, et non pas des coffres-forts.

Cartes de débit pour enfants

Pour les clients, la suppression des espèces s'inscrit dans l'évolution de leurs habitudes. La plupart des Scandinaves ne se baladent plus avec des espèces et n'ont plus mis les pieds dans une banque depuis longtemps. Les enfants reçoivent leur argent de poche par virement (en Norvège, la carte de débit est utilisable à partir de 7 ans). Même la perspective d'un enregistrement complet de toutes leurs dépenses personnelles n'effraie pas les gens, convaincus qu'ils peuvent faire confiance à l'Etat, aux autorités et, en principe, aux banques. Les critiques concernent tout au plus l'insuffisance de l'infrastructure informatique dans les régions excentrées.

A l'église, la quête se fait par carte

Pour Niklas Arvidsson, la décontraction face à ces changements radicaux s'explique par la grande affinité numérique de ses concitoyens. La Suède n'est pas seulement le premier pays dans lequel il est possible de payer par carte lors de la quête à l'église, mais aussi le premier dans lequel chaque enfant reçoit un iPad financé par l'Etat lors de son premier jour d'école et apprend à écrire sur un clavier.

Droit de vote des femmes, wi-fi gratuit, barbe de hipster, puis disparition de l'argent liquide: impensables autrefois, entrées dans la normalité aujourd'hui, ces choses ont toutes été exportées du Nord. S'il est vrai que la Scandinavie est un bon sismographe des évolutions sociétales, alors tournons notre regard vers elle et interrogeons-nous: qu'est-ce qui sera le plus coûteux? Ouvrir la voie au changement ou être le dernier à suivre la tendance?